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LOFI - Interview avec mC - Street-artiste

L’art urbain comme médium de communication, entrevue avec mC, un artiste à multiples facettes
Aujourd’hui plus que jamais la publicité est omniprésente dans notre société. L’artiste que nous vous présentons s’en sert pour communiquer en rendant un certain hommage.  Rencontre avec « mC », street-artiste phare de Rennes. Pendant cette interview, nous parlons du sticker-art en abordant notamment le projet «MÉMÉ» consistant à détourner des logos de marques célèbres. 
LOFI | Est-ce que tu peux nous parler de tes stickers ? Quel message veux-tu véhiculer ?

mC | Il s’agit du projet «MÉMÉ» qui est un hommage à ma grand-mère disparue en 2013. Il est construit sur des paradoxes par rapport à ce qu’elle était :

Ma grand-mère vivait et travaillait à la campagne, les stickers eux apparaissent généralement en milieu urbain. Elle était complètement étrangère à la société de consommation, les stickers sont réalisés sur la base des logos des grandes marques, étendards de cette mondialisation. Ma grand-mère a disparu avant la montée en puissance des réseaux sociaux. Instagram relaye désormais les aventures de Mémé.  Dans un second temps, en suivant cette logique, j’ai imaginé faire voyager ma grand-mère pour rattraper ce qu’elle n’avait pas pu faire de son vivant faute de moyens, mais aussi faute de temps libre tant ses activités à la ferme étaient contraignantes. Après, ça coûte une blinde ! Du coup, est venue l’idée de créer une armée mondiale & pacifique de contributeurs, les M.A.D. : Mémé Authorized Dealers ! Le principe est simplissime, une demande pour participer sur mon Instagram, une adresse postale et l’enveloppe de stickers part pour une destination plus ou moins lointaine sur la planète.

LOFI | Comment réalises-tu tes stickers ?

mC | 
« À l’ancienne » évidemment ! Je suis une bille en infographie alors j’y vais avec les moyens du bord. Je recherche d’abord ma proie sur le net et réalise une capture écran que je plaque sur une diapositive de PowerPoint qui me servira de brouillon. Ensuite, c’est du bricolage à base de copier/coller successifs de petites parties du logo pour progressivement transformer les lettres originelles en un M, un É, un M et un É. C’est plus ou moins long selon les typos mais en général ça le fait bien. En dernier lieu, je convertis la diapositive en un PDF que j’imprime sur un A4 adhésif.


LOFI | Depuis combien de temps exerces-tu cette activité ?

mC | 
J’ai redécouvert le sticker en 2014 lors d’un séjour à Hambourg. J’ai remarqué que ce média, là-bas utilisé à profusion donnait une force et une dynamique à certains quartiers. Même si le support est bien souvent éphémère, ton regard est sans cesse interpellé par des slogans, des messages, des images qui créent un bouillonnement permanent dans ton esprit. Rapidement, tu prends conscience du contexte social, politique, économique, culturel de l’endroit où tu te trouves.

LOFI | Qu’est-ce que le sticker représente pour toi ? 

mC | Les miens sont peut-être un modeste discours sur le poids des marques, de l’image ? Aujourd’hui, le paraître semble supplanter l’être dans nos sociétés. Je ne suis pas sociologue et donc pas légitime à analyser l’impact social des comportements humains. Cela dit, je constate que nous portons tous (et moi le premier pour continuer dans les paradoxes), à des degrés variables certes, allégeances aux marques qui sournoisement, mais ingénieusement si l’on y prend garde, conditionnent notre façon de vivre, de nous nourrir (mal d’ailleurs), de nous fringuer, de nous déplacer, de communiquer, nous amuser et même de nous aimer.

Or, ces sociétés commerciales sont extraordinaires dans leurs organisations, puissantes, mondiales mais pas toujours exemplaires socialement, écologiquement, fiscalement ou encore dans la protection des données confiées. Leur logo est leur signe de ralliement mais devient également souvent le nôtre. Le détourner en y insérant « MÉMÉ » vise à interpeller le subconscient et peut faire réfléchir à la juste valeur des choses. On est presque dans l’activisme. Il faut faire attention à ce que notre capacité à réfléchir ne soit pas happée par cette vague de fond, que nous ne devenions pas tous des clones, des hommes  ou femmes « sandwich ». Après, je dis « il  faut faire attention… » mais je n’ai pas vocation à donner des leçons sinon là aussi, je deviens moi-même paradoxal.

LOFI | Est-ce que cette activité a un impact sur ta vie professionnelle et personnelle ?

mC | 
Quasiment aucun par rapport à mon activité pro. Je suis « col blanc » et rares sont mes collègues à connaître ce hobby. L’incompréhension serait probablement grande pour certains et surtout la confidentialité reste un pilier essentiel pour mes créations. Par contre, dans la mesure du possible, je profite de mes déplacements pros pour coller en France ou à l’étranger. L’impact sur ma vie privée est plus présent puis-qu’évidemment, bon nombre de mes potes connaissent ce délire et beaucoup y participent en plaquant les stickers de ci de là au gré de leurs voyages ou week-ends.

Artiste à multiples facettes, mC réalise également des peintures en bichromie basées sur le principe du lettrage. Passionné par le rock, il utilise des mots, lettres et paroles tirés de ses albums fétiches.

LOFI | Quelles sont tes inspirations ?

J’ai la quarantaine désormais. Depuis longtemps, j’ai concilié ma passion du skate avec celle de la musique & des concerts. J’ai vadrouillé avec très peu de modération dans le mythique « Rennes Rock » des années 90. Le graphisme est un point commun à ces deux mondes (pochettes, affiches, boards, t-shirts). L’idée m’est donc venue d’organiser un carambolage graphique entre les textes chantés et l’environnement urbain qui m’entoure pour donner vie à une forme picturale proche du lettrage. Le principe consiste à disséquer les titres d’albums ou paroles de morceaux pour en extraire puis travailler graphiquement quelques mots qui m’intéressent par l’émotion qu’ils procurent, pour la portée sociale ou simplement pour le plaisir d’écoute.

LOFI | Est-ce que tu peux nous parler de ton processus de réalisation ? Comment choisis-tu tes textes ?

Je suis fasciné par le Rock, par l’indépendance des groupes qui fonctionnent plus à l’énergie qu’au savoir-faire. C’est dans cet état d’esprit que je développe ce projet. Modestement sans doute sur l’aspect technique mais avec beaucoup d’enthousiasme. J’aime les mots, les lettres et les paroles et tente de les exploiter visuellement. Le texte retenu est placé dans une joyeuse broyeuse qui triture, déforme ou entremêle chacune des lettres du message. Progressivement se substitue alors au texte, un graphisme en bichromie tout en mouvement. Simple, brute, l’expression picturale finit par se fixer sur une toile carrée en référence aux pochettes de vinyles qui peut alors interpeller tout autant par son côté ludique, son esthétique que par le sens des mots enfin identifié.

LOFI | Est-ce que tu peux nous parler davantage de ta fascination pour le rock ?

​​​​​​​Rennais, je suis génétiquement ouvert à un certain brassage musical. Auparavant, cette offre musicale passait beaucoup par la programmation des bars. Aujourd’hui, compte tenu des contraintes acoustiques toujours plus coûteuses, les bistrots ont réduit la voilure et l’éclectisme musical s’est institutionnalisé. Il est désormais porté mais bien porté par les Transmusicales et l’UBU. Généralement, je suis plutôt attiré par des groupes que par des artistes solo. La puissance et l’ambiance issues du collectif m’apparaissaient un ton au-dessus. Pour le style musical même si je suis ouvert à beaucoup de sons, j’ai gardé un vrai attachement pour le monde « psychobilly » dans lequel j’ai pas mal gravité. Nous avions bonne petite équipe qui surfait sur l’imaginaire que porte ce mouvement : affiches, fringues, coiffure… En parallèle, j’ai aussi toujours gardé une oreille attentive à ce que développait le rock, garage ou punk alternatif français (Boucherie Prod, Mano Négra…) autour de thèmes de société concrets. A l’image des Long Tall Texans, des Wampas ou des No One Is Innocent, certains durent en évoluant. D’autres ont pris le relais, notamment à Rennes, à l’image des The Decline et de Darcy.
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